Azawakhs de Garde-Épée

Extraits de textes et de livres

TOUAREGS NIGÉRIENS
Unité culturelle et diversité régionale d’un peuple pasteur

Edmond BERNUS

Cette étude a fait l’objet d’une thèse de Doctorat d’Etat de Géographie,
préparée sous la direction du Professeur Paul PELISSIER
soutenue en octobre 1978 à l’Université de Paris X

"Les chiens (iyedan, sing. idi) sont souvent présents dans les campements touaregs. Mais on distingue le chien de garde, chargé d’alerter ses maîtres en cas de visite d’animaux sauvages ou d’étrangers, qui aboie à tout propos et qui est appelé abeykor (pl. ibikar), plus lourdement charpenté que le chien de race (3), lévrier à la taille fine et aux longues pattes. Ce dernier est utilisé pour la chasse, car il force à la course biches, gazelles ou autruches. Il est l’objet d’un élevage soigné. On évite tout abâtardissement de la race en baguant les chiennes. On le nourrit de lait, de viande, de bouillie de mil. C’est un animal précieux, mais qui ne fait pas l’objet d’un commerce. On donne les chiots à ses amis et connaissances, jamais on ne les vend. (NICOLAS 1953,478-480).

Sa nourriture ne diffère guère de celle des humains, et on lui donne une part des repas dans son écuelle (4) : bouillie de mil, lait après la traite, et restes de viandes. Le chien de race n’est guère capable d’un effort prolongé, et il n’a jamais été initié au gardiennage du troupeau. Est-ce par manque d’initiative des hommes ou incapacité de la race canine ? La chasse reste sa seule utilisation, et là il fait merveille, non pas par son flair ou son odorat, mais exclusivement grâce à sa rapidité.

Chaque chien porte un nom qui fait référence en général à sa couleur :
- Abarog = Couleur crème
- Ireghi = Couleur blanche sur le cou
- Azol = Chien dont les yeux semblent rehaussés d’antimoine (tazolt), comme ceux des hommes
- Tadabert = Couleur de tourterelle
- Azarghaf = Grosses taches foncées
- Aghshi = Petites taches comme les Cynthyènes (Lycaon pictus)

On distingue aussi le chien par le port des oreilles, couchées vers l’avant, l’arrière ou pointant droit. La généalogie des chiens de race, comme celle des chevaux, mériterait d’être tentée. NICOLAS (1953, 479) signale que les chiens de chasse des Iullemmeden sont issus d’une chienne du nom de Telajamoul, appartenant au chef des Tiggirmat, et que les chiens des Kel Es Suk proviennent d’une chienne des ancêtres de Tefennut, fils de Firhun, qui fut chef des Tarraït-Amout de l’Ouest.

(1) abayogh, pl. ibiyagh
(2) ifellida.
(3) Le chien de race est appelé oska, pl. oskaten chez les Ihaggaren, alors que les Iullemmeden disent simplement " le chien noble", idi wan elelli.
(4) efagher-n-idi : écuelle parallélépipédique grossièrement taillée dans le bois."

 

CHAMEAU, CHEVAL, CHIEN
Mythes et symboles de trois animaux domestiques touaregs

Edmond Bernus 1999

Le chien

Le chien touareg est un lévrier qui est utilisé exclusivement pour la chasse, ce qui semble paradoxal pour un peuple pasteur. Cependant, parmi les chiens africains, le lévrier est toujours associé aux zones arides et parmi les lévriers du désert, le lévrier touareg possède une originalité qui l'a fait distinguer par les cynophiles sous le nom de "Lévrier de l'Azawakh" ou Azawakh.
Selon la thèse du Dr Roussel (1975), "le lévrier touareg (azawakh) est un lévrier purement africain, identique à ceux qui vivaient dans les steppes africaines il y a plus de 5 000 ans". Bien que ne partageant pas cette opinion, Przezdziecki (1984 : 257) estime que "les lévriers observés chez les Touaregs de I'Azawakh constituent une race pure. Peut-être, poursuit-il, existe-t-il ailleurs d'autre noyaux d'élevage équivalent? S'il en est, leur nombre doit être faible. Pour ce qui concerne les lévriers des Touaregs de l'Azawakh, l'effectif se chiffre tout au plus à quelques dizaines". Ce chiffre semble largement sous-estimé : il suffit de circuler en pays touareg pour infirmer cette affirmation d'une race canine en voie d'extinction.
Le terme géographique d'Azawakh, qu'il vaudrait mieux écrire Azawagh, désigne la vaste vallée fossile et tout le réseau hydrographique qui lui est associé.Iissu de l'Aïr, qui traverse les auréoles successives du bassin sédimentaire des Iwellemmedan au Niger et au Mali, avant de gagner le fleuve Niger sous le nom de Dallol Bosso ou Boboye. Il désigne plus largement tout le pays touareg au nord de Tchin Tabaiaden (Bernus 1990 : 1207- 1209).
"Le lévrier de L'Azawakh est répertorié par les cynophiles sous le code n° 307 a, et ses caractères sont décrits dans différentes rubriques : apparence générale, taille, format, type, tête, encolure, corps, queue, membres antérieurs et postérieurs, allure, peau, poil, couleur etc. (Przezdziecki 1984 : 344-345).

Des recherches archéologiques récentes ont permis de fouiller des sites d'habitat néolithique où ont été inhumés des hommes et des animaux. Au site de Chin-Tafidet (Paris 1992 : 33-53 & 1984 : 7-75), situé dans les plaines au sud-ouest de l'Aïr, on a trouvé des vestiges variés. Il s'agit de squelettes humains ainsi que des squelettes de bovins, de petits ruminants et de canidés : les ossements de ces derniers ne sont pas dispersés et, par conséquent, ont été enterrés. Trois squelettes de chiens ont été découverts et on peut affirmer qu'ils appartiennent au groupe des lévriers. Ces recherches ont donc montré la présence de lévriers inhumés par des " Soudaniens du Néolithique terminal, qui vivaient lors de la dernière période humide de I'Eghazer, entre 4000 et 3500 BP, c'est-à-dire entre 2600 et 1800 avant notre ère" (Paris 1992 : 53). Ainsi, le lévrier était présent dans l'Azawagh bien avant l'arrivée des Touaregs.

On retrouve chez le chien, comme chez le cheval, la même distinction entre le chien de mauvaise race et le chien noble, lévrier touareg dont on a contrôlé les croisements depuis des générations. Dans son célèbre dictionnaire, le Père de Foucauld (1951-1952: II, 695), distingue le chien de race quelconque (eidi), du lévrier de race pure, haut sur jambes, mince de corps, rapide à la course (oska), "du chien à poils longs" (de race quelconque) (aberhoh), du "chien de mauvaise race" (abaikor ou abeinous) synonymes du précédent, ou encore du «chien croisé de lévrier et de chien à longs poils" (akâmi).

Dans l'Azawagh proprement dit et dans l'Aïr, on appelle le lévrier idi (plur. idan) et le chien de mauvaise race abaykor (plur. ibikar) (Alawjeli 1980 : 16 & 13; Nicolas 1950 : 11) alors que chiot est appelé aykar. Communément appelé sloughi, le lévrier africain était connu depuis longtemps au Maghreb chez les nomades. Le lévrier a été connu plus tard, lors de la lente pénétration du Sahara par les explorateurs : le lévrier azawagh est un chien à poils ras qui joue un rôle important et est présent dans tout le pays touareg. Seuls les nobles (imajeghan) et certains groupes religieux de l'Azawagh, en particulier les iberkorayan et imazwaghan ne possèdent pas de chiens : il est pour eux un animal lié à une activité. la chasse, qu'ils ne pratiquent pas et qui est la spécialité des tributaires (imghad). Le lévrier, cependant, est présent dans tous les campements, exception faite de cette minorité de nobles et de religieux.

On connaît la réputation de chasseurs de certaines tribus d'inlghad: d'abord les Dag Ghali dans l'Ahaggar, chasseurs de mouflons, mais aussi les imghad de l'Azawagh, chasseurs de gazelles (Gazella dama, dorcas, rufifrons), d'autruches, et encore récemment d'antilopes (oryx); il s'agissait autrefois, dans certains cas, de chasses à courre où le cheval et le chameau remplaçaient le chien (Lhote 195 1& Brouin 19-10 : 425-455) : on peut citer encore pour un passé proche (vers 1940). les Idebbedad, iklan-n-egef (affranchis) de la région de Télémsès pour la chasse au lion (Nicolas 1950 : 127- 130).

Comme tous les animaux domestiques des sociétés pastorales, chaque lévrier porte un nom auquel il répond. Ce nom se rapporte souvent à une particularité physique, qui fait référence dans bien des cas à la robe. Chez les Iwellemmedan Kel Denneg du Niger, on note les robes suivantes : edaber, gris pigeon, en référence à la tourterelle; azerghaf, pie, bicolore, qui désigne une race de chameaux utilisés par les Touaregs de l'Aïr pour former les caravanes du sel vers Fachi et Bilma; egheri, rouge cuivré à cou blanc; abarog, robe unie, grise, crème; arshi, rayé ou tacheté, en référence au lycaon (tarshit); azol, chien aux yeux ou à la bouche cerclés de noir, référence à l'antimoine (tazolt) dont usent les Touaregs, hommes et femmes: pour rehausser l'éclat de leurs yeux. Chacun, cependant, peut donner, à sa guise: un nom à son chien : ainsi le petit-fils du chef des Illabakan avait appelé son chien dog, en souvenir des visites d'un missionnaire américain.
Chez les éleveurs touaregs du Niger, du Mali ou du Burkina Faso, le seul chien présent dans les campements est le lévrier azawagh. C'est un chien de chasse qui ne joue aucun rôle dans la garde des troupeaux. Il erre autour des tentes, passe les heures chaudes nonchalamment étendu à l'ombre d'un arbre ou d'une tente : s'il s'approche d'une coupe en bois contenant les reliefs d'un repas, on l'éloigne d'un geste brusque ou d'un jet de caillou.
Le lévrier répugne à un effort prolongé. Il pousse des pointes à 60 ou 70 km à l'heure, comme le constatent les automobilistes qui passent à proximité d'un campement : les Iévriers sortent de leur torpeur pour suivre, accompagner ou précéder la voituse pendant quelques instants. Au cours des mouvances estivales de "la cure salée", les lévriers suivent avec nonchalance la longue colonne des animaux chargés et des troupeaux : ils s'arrêtent de temps à autre au pied d'un arbre, en se lovant dans un creux de sable: parfois un lièvre ou une gazelle détale au bruit de la troupe, et alors, excités par les cris des jeunes gens, les lévriers s'élancent en folle poursuite, tentant de rabattre ce gibier vers les cavaliers ou chameliers qui suivent de loin. Le lévrier, comme le cheval, est le seul animal domestique nourri par l'homme. Mais donner au cheval mil et lait est réservé aux très rares propriétaires de cet animal. Le lévrier, par contre, est un animal beaucoup plus répandu et dans les campements il reçoit du lait après la traite et le reste des repas : il est nourri comme l'homme et dans chaque famille il dispose d'une auge grossièrement taillée dans du bois et appelée efagher-n-idi, c'est-à-dise l'écuelle du chien.
Le lévrier ne se vend pas, mais on fait volontiers don de chiots aux parents ou amis qui en font la demande. Il fait tellement partie de la vie quotidienne que son image est utilisée dans des devinettes : "Devinez, devinez, qu'est-ce qui est plus grand assis que debout? Le lévrier. :." Il apparaît aussi dans des proverbes : "Les gens de la parole disent : "ce n'est pas le jour où tu veux chasser que tu vas dresser le lévrier"." Dans ces exemples, le lévrier sert de référence dans un jeu verbal ou dans une sentence morale, en tant qu'animal familier, connu de tous. Il peut aussi être cité pour évoquer la notion de beauté, de qualité : dans ce cas, le lévrier "s'emploie comme épithète de louange en parlant d'une personne ou d'un animal. Exemple : ta femme (est) une levrette [. . .], chameau (est) un lévrier [. . .], cette pièce de vers est une pièce comme n'en fait qu'un lévrier" (Foucauld 1951-1952 : IV, 1813).

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Texte & photos copyright © Corine Lundqvist - depuis / since 1998